Le Vendeur de sang, de Yu Hua
- Serge Perrin Merinos
- 1 sept.
- 3 min de lecture
"Chronique d'un vendeur de sang" de Yu Hua est une œuvre littéraire poignante et d'une portée exceptionnelle, transcendant le récit pour une méditation profonde sur la condition humaine, la résilience et la vie sous un régime oppressif. À travers Xu Sanguan, ouvrier d'une filature de soie, le lecteur est immergé dans une Chine en mutation, marquée par les bouleversements du Grand Bond en avant et de la Révolution culturelle.

La narration de Yu Hua mêle habilement le quotidien et l'extraordinaire. La vie apparemment banale de Xu Sanguan devient le théâtre d'émotions intenses et de luttes existentielles. Son recours à la vente de son sang, acte de désespoir économique, symbolise la fragilité de la vie et la détermination à protéger sa famille. Cette pratique, à la fois répugnante et nécessaire, illustre la dureté des conditions de vie et la manière dont les individus sont contraints de se réinventer pour survivre. Avant les prélèvements, il boit de l'eau pour diluer son sang et après chaque vente, Xu Sanguan s'offre un repas de foie de porc frit et de vin jaune, un rituel éphémère de récupération et de célébration, souligne à la fois la précarité de son existence et sa manière de s'octroyer des moments de répit dans un quotidien difficile. Yu Hua s'est inspiré d'une scène observée à l'hôpital de son père, une pratique qui deviendra une réalité tragique avec le scandale du sang contaminé, touchant des villages entiers avec le SIDA en raison de collectes de sang non sécurisées et motivées par le profit. L'expression de "chef du sang," qu'il a entendue à l'hôpital, désignait celui qui accueillait les paysans venus vendre leur sang, parfois avec des présents.
La galerie de personnages est riche et profonde, humaine dans leurs faiblesses et leurs forces. Leurs luttes pour la subsistance et la dignité résonnent avec vérité. La relation complexe et nuancée entre Xu Sanguan et son épouse, Xu Yulan, la "Vénus des beignets," reflète les défis conjugaux en temps extrêmes. L'humiliation publique de Xu Yulan durant la Révolution culturelle illustre la cruauté du régime et son impact dévastateur.
Au-delà de la souffrance, le roman explore la rédemption, la résilience et l'amour familial. Le pardon de Xu Sanguan envers son fils aîné, Yile, malgré les circonstances de sa naissance, témoigne de la force des liens familiaux. Les moments de tendresse qui ponctuent le récit offrent des lueurs d'espoir dans un monde sombre.
La misère et la faim sont omniprésentes dans son œuvre, souvent liées à ses propres expériences d'enfance. La réconciliation de Xu Sanguan avec son fils autour d'un bol de nouilles et l'impossibilité pour une fille affamée de protester pour une patate douce illustrent cette réalité.
Le style de Yu Hua, simple et direct mais riche en métaphores, immerge le lecteur dans la Chine rurale. Les dialogues crus et humoristiques révèlent les personnalités des personnages et leurs relations complexes. "Chronique d'un vendeur de sang" transcende son contexte historique pour des thèmes universels : la nature humaine, la force de l'amour et la survie face à l'adversité. Le roman, à la fois déchirant et inspirant, témoigne de la résilience humaine.
Écrit en 1995, avant la révélation en 1996 du scandale du sang contaminé dans la province du Hunan, le roman explore les conditions socio-économiques rendant la vente de sang répandue. C’était une activité très lucrative, où la vente de sang rapportait autant que six mois de travail aux champs. Il met en lumière la précarité poussant des hommes comme Xu Sanguan à vendre leur sang pour survivre, préfigurant les vulnérabilités du scandale à venir. Le sang, ce liquide vital, symbolise les efforts des paysans pour vivre, leur vitalité ("se saigner aux 4 veines" pour tout : nourrir, sauver les enfants, mariage, maison). Bien qu'antérieur, le roman résonne avec ces événements, devenant un avertissement poignant contre l'exploitation et la négligence, soulignant l'importance de la dignité humaine.
L'histoire du sang contaminé a été racontée par un autre écrivain du Hunan, Yan Lianke, dans "Le Village des Ding" (2006), traitant directement du scandale.
Le Vendeur de sang, a été publié en 2006 par Actes Sud, dans une traduction française de Nadine Perront. 288 pages. Publication d’origine en langue chinoise en 1995










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