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Brothers ( Xiongdi ) de Yu Hua - Tang Loaec

  • Tang Loaec
  • 1 sept.
  • 4 min de lecture

En Chine, le ‘J’accuse’ de Zola n’a pas gagné ses lettres de noblesse, les accusations publiques ont été l’outil de tous les excès, décliné au fil d’innombrables épurations. La dénonciation, sous la plume de la génération d’écrivains qui ont traversé la révolution culturelle, a donc dû plutôt emprunter la porte étroite de la farce et de l’humour noir. Les critiques sociales qui en résultent portent un regard peut-être qui en est peut-être traumatique, peut-être moins dangereux face aux rétorsions politiques, mais à peine moins caustique sur le monde dans lequel ils ont vécu leur enfance ou leur âge d’hommes.


Brothers. Yu Hua. Actes Sud
Brothers. Yu Hua. Actes Sud

Même si les styles diffèrent, on retrouve ce sens de la farce tragique dans une génération entière d’auteurs : Wang Jiao Bo, Mo Yan, Yang Lianke  et Yu Hua, dont les naissances s’échelonnent de 1952 à 1960, et dont le dernier est en train de connaître un succès mondial avec Brothers, fresque de presque 50 ans de vie chinoise, des années 1960 à nos jours, de deux presque frères aux destins croisés et aux caractères contrastés. 


Si c’est toujours Li Guangtou, fils d’un vaurien, et Song Gang, fils d’un anonyme à la générosité et au courage sans borne, que l’on suit, ce sont tout de même deux générations successives qui sont mises en scène. Et les destins opposés, des pères et des fils, illustrent à dessein la différence d’une période à l’autre.


Yu Hua inscrit dès sa première page son intention, lorsque la mère de Li Guangtou (et belle-mère de Song Gang) déclare de l’un d’abord, ‘tel père, tel fils’ voulant dire que le fils était aussi loyal et bon que son père, son second mari.


Il ne faut que quelques lignes de plus pour qu’elle dusse admettre aussi, pour son plus profond désarroi, ‘tel père, tel fils’ au sujet de son premier mari et de son fils, Li Guangtou.


Mais si les pères et les fils sont faits du même bois, les destins divergent sous la poussée des époques.


Les années 60 et 70, pour les pères, font mourir l’un accident qui le déshonore, et le second misérablement quoique sans renoncer à rien de sa loyauté et de sa bonté, sous les supplices arbitraires de la révolution culturelle. La période est tragique et maltraite également les meilleurs comme les pires des humains, les cœurs purs sont abattus, mais les tortionnaires eux-mêmes n’échappent à rien, une vague chassant l’autre et le geôlier de l’un se trouvant rapidement pareillement maltraité ou tué le mois ou l’an suivant. 


Les deux enfants subissent cette vie comme deux chiens errants, chassés par les uns et moqués par les autres, dans ce monde où les parents sont mis au pilori ou battus à mort dans la rue, avant que les frères ne dussent eux-mêmes ramener les corps morts jusqu’au domicile pour les rîtes. Puis tourne le temps et l’époque change. 


Les enfants deviennent de jeunes hommes, le monde prend un autre tour.


La nature impétueuse de Li Guangtou se transforme en atout dans le quotidien de la vie à laquelle ils sont confrontés et lui permet de grimper les échelons du succès. 


La seule chose qui lui sera différée est l’amour de la belle Lin Hong, le seul succès que Song Gang, plus fin et plus cultivé, loyal et bon comme son père quoique peut-être, un peu moins armé encore de la force de caractère qui lui permettrait d’aller de l’avant.  Mais cela importe peu, puisque jusqu’à sa timidité fait merveille, lorsqu’il s’agit de toucher le cœur d’une femme. 


Pour le reste, les qualités de Song Gang, intègre et ne craignant pas l’effort, n’ont pas de prise sur le monde qui, depuis les années 80, régit la Chine sous d’autres lois. Tel père tel fils, sans doute, mais quand Song Gang aux belles vertus sombre au fil des années dans un monde auquel il ne s’adapte pas, le fils du vaurien, Li Guangtou, parvient lui avec sa gouaille et son impertinence à devenir l’homme le plus riche du bourg puis l’un des plus riches du pays.


‘Tel père, tel fils’, mais quel écart de destin, et comment douter qu’en faisant jusqu’à la farce grand-guignolesque le tableau du succès de Li Guangtou, l’auteur Yu Hua ne parle pas de son époque et de son pays, où d’une génération l’autre, le cœur noble ne parvient qu’à une fin misérable, malgré même l’aide que veut lui apporter son frère de cœur.


Il est difficile de douter aussi que le succès de ce bloc de vitalité sans culture qu’est l’autre frère, corresponde au regard que porte l’auteur sur le groupe social qui devient la classe montante de la Chine des années 2000. 


Yu Hua commence et termine son livre sur la folie des grandeurs du nouveau riche, qui s’apprête à embarquer comme passager payant pour faire du tourisme spatial dans une navette russe, emportant avec lui l’urne funéraire du défunt et déclarant : ‘désormais mon frère Song Gang sera un extra-terrestre’.


Peu de doute que pour l’auteur, les qualités du mort n’ont déjà plus rien à voir avec le monde terrestre dans lequel il vit.



Brothers, de Yu Hua a été publié en langue française en 2008 aux éditions Actes Sud, dans une traduction d’Isabelle Rabut et d’Angel Pino. 720 pages. Publication originale en Chinois, 2005


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La Revue littéraire de Shanghai et d'Orient : ISSN 3074-9832   

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