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Souvenirs d’enfance sous la Révolution culturelle, de Chen Tsantsoun

  • Jean de Chambure
  • 3 févr.
  • 3 min de lecture

Comme un irréductible printemps coexistant avec le terrible hiver de la Révolution Culturelle, l’enfance de Chen Tsantsoun (陈长春) à Shanghai est racontée par le narrateur-personnage avec grâce, lucidité et poésie. Une saisissante beauté se dégage de ses souvenirs à la fois pudiques et sans déni, capables de « porter la plume dans la plaie », comme Albert Londres le fit sans revenir vivant de Shanghai. Tel ne fut pas, bien heureusement, le destin de Chen Tsantsoun. 


Avant de réussir à rejoindre la France, grâce à l’habile obstination de sa mère comme à son intelligence d’enfant face à l’interrogatoire d’un commissaire du peuple, Tsantsoun nous raconte les terreurs et les éblouissements qu’il vécut à Shanghai entre 1966 et 1968. Au-delà des souvenirs familiaux qui se répètent jusqu’à rendre inextricable la légende de la vérité, l’auteur sort de cette ornière pour relater les clairs-obscurs de son enfance. 


Souvenirs d’enfance sous la Révolution culturelle. Chen Tsantsoun
Souvenirs d’enfance sous la Révolution culturelle. Chen Tsantsoun

D’abord des terreurs presque anodines. Celle d’une saisie de sa collection de timbres au nom d’une prétendue lutte contre les « quatre vieilleries ». Les notes, très bien faites et fournies, rappellent au lecteur que pensée, culture, coutumes et conventions bourgeoises sont les « quatre vieilleries » qui pervertissaient le peuple selon les Gardes rouges chargés de purifier la société. Puis la terreur d’une femme qui aimait trop les chaussures et qui, pour ce crime, se vit condamnée. Plus loin, la répression absurde exercée contre chaque expression artistique jugée potentiellement traîtresse à l’idéal révolutionnaire. Les innocentes carpes nageant dans l’eau dessinée par Wu, collègue de la grand-mère du narrateur, sont condamnées. « Ces poissons ne représentent pas le peuple mais les bourgeois et ils nagent dans l’eau du capitalisme, êtes-vous d’accord ? », lancent à la cantonade les Gardes rouges. Cet épisode précède un « séjour à la campagne » du narrateur avec sa grand-mère, subitement consciente des risques qu’elle encourt en tant que professeur à l’Académie de peinture. 


Peut-être parce qu’il s’agit d’un enfant qui se nomme justement « long printemps » (cf. 长春 ou Tsantsoun, la transcription phonétique de son prénom dans l’état civil français n’ayant pas été le pinyin), sans doute aussi parce que Tsantsoun est protégé par sa grand-mère, l’auteur nous livre quelques très belles échappées poétiques durant cette période d’extrême terreur. 


Au cours de son escapade dans la campagne d’Hangzhou avec sa grand-mère, il décrit par exemple la magie d’un conteur n’ayant pour décor qu’une plaquette de bois frappée « pour souligner un moment crucial du récit » et son éventail, accessoire universel. « Déployé, il est le vent qui balaie la plaine ou la cavalerie qui charge. En s’éventant avec lenteur, la nonchalance d’un mandarin oisif. Replié, l’épée qui transperce l’ennemi, le pinceau du poète qui calligraphie sur le mur du temple ou encore le juge qui pointe sur le condamné son doigt accusateur ». Nous fermons les yeux, nous y sommes.


Rempli d’anecdotes glaçantes ou enchanteresses, ces souvenirs réussissent aussi à mettre en lumière des destins politiques à travers les portraits que l’auteur donne de sa famille. Celui de son père « berné » hélas ! par « le mensonge prometteur d’un monde meilleur », s’empêchant tragiquement de quitter la Chine comme le fit la mère de Tsantsoun. Ou encore celui de Tang Shoujian, l’arrière-arrière-grand-père du narrateur, défenseur des intérêts de son pays jusqu’à perdre son poste éminent au cours de l’affaiblissement des Qing, mais préférant se retirer du pouvoir en 1912, au moment même où ses idées triomphaient. « N’est-il pas juste que celui qui consacre sa vie pour le peuple n’envie pas le pouvoir ? » exprimait son ancêtre… Une sagesse que Mao et ses thuriféraires se sont bien gardés de suivre. 


Ces souvenirs enchantent, bouleversent, autant qu’ils instruisent sur une période dont les témoignages d’enfance sont particulièrement rares. 


À découvrir sans hésiter. 


Les Souvenirs d’enfance sous la Révolution culturelle de Tsantsoun Chen (陈长春) sont disponibles sur commande par courriel auprès de la Revue: editeur@revuelitterairedeshanghai.fr

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La Revue littéraire de Shanghai et d'Orient : ISSN 3074-9832   

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