Le Loup mongol, de Homéric
- Tang Loaec
- 3 févr.
- 4 min de lecture
« Mon nom est Bo’ortchou (…) je vais t’emporter en croupe sur ce que fut ma vie, tout entière dévouée au plus affamé des hommes, Gengis Khan… »
Des chevaux et des loups.
Le loup est Gengis Khan, né Temudjin, et le narrateur Bo’ortchou, son frère de sang, fut son compagnon le plus loyal tout le temps qu’il lui fallut pour réunir les Mongols sous sa bannière. Plus tard, après qu’il eut taillé le plus vaste empire du monde d’une extrémité à l’autre du continent eurasien, celui qui lui a été si dévoué, le décrira sous d’autres mots très singuliers, « le plus affamé des hommes ».
Loup parce qu’il est le descendant à la 21ème génération, des Mongols Bleus, qui ont été enfantés par l’union de Loup bleu et de Biche fauve, animaux mythologiques de l’accouplement desquels sont nés les hommes, dans les légendes mongoles.

Il fut affamé de chevaux, de conquêtes et de femmes.
Affamé de chevaux d’abord. Ils le sont tous. Tous ces mongols et toutes ces autres tribus des steppes que Temudjin combat ou rallie, massacre ou conduit.
Ce sont les chevaux qui font la vie de ces nomades, les trésors dont ils font commerce, l’arme la plus indispensable de leurs razzia, leur richesse, leur puissance. Pour un mongol, la qualité de son cheval fait la différence entre la vie et la mort, la victoire ou la défaite, le prestige et les légendes.
C’est vrai de Bo’ortchou, porté lorsqu’il rencontre Temudjin pour la première fois, par un cheval d’exception, Peur d’Ours, dont il chante les chansons, parce qu’il veut que son cheval soit chanté dans toutes les tribus, qu’il devienne lui-même légendaire.
C’est vrai de l’auteur de ce livre aussi, Homéric, qui fut jockey de course d’abord, avant d’être journaliste et chroniqueur hippique.
Ce livre de 450 pages partage la passion des mongols pour leurs chevaux de la plume d’un auteur qui comprend tout de cette passion, qui a vécu à son rythme, celui des sabots.
Bo’ortchou décrit sa rencontre avec Temudjin, aux premiers temps de leur alliance, encore adolescent comme lui. Une flamme brûle pourtant déjà dans les yeux de ce descendant du lignage de deux Khans, et fils direct de Yèsugèi, chef admiré, mais qui fut attaqué par une tribu des steppes puissante, les Souverains, et abandonné par ses propres alliés.
Avec sa mère et sa fratrie, seuls survivants appauvris et traqués, il est encore enfant de corps, mais déjà comme Bo’ortchou farouche d’esprit, cavalier éprouvé, entraîné pour la chasse et le combat.
Alors que ses ennemis, les tueurs de son père, cherchent encore à le mettre à mort avant qu’il ne devienne un danger, lui construit déjà sa légende, en échappant à ceux qui le chassent, en réussissant à leur porter des coups, et cherche à reconstruire un clan. Il a pour lui son intrépidité, son charisme, son lignage, et bâtit ses alliances et attire d’autres mongols autour de lui, malgré le risque de retournement d’alliances et de trahisons.
Affamé de conquêtes.
C'est d'abord et pour la plus grande partie de ce livre son objectif initial, celui de réunir tous les Mongols sous une même bannière, la sienne. Et soutenu par Bo’ortchou et ses frères, il y parvient aux prix de maints combats.
Mais il reste affamé. Poussé par la soif de vengeance, il massacrera les tribus ou royaumes Souverains, puis Merkit.
Mais il reste affamé. Poussé par la soif de richesse, il ira piller la Chine des Jin.
Mais il reste affamé. Poussé par son égo après qu’il ait été fait affront à ses ambassadeurs envoyés vers un royaume de l’Ouest, auprès de Mohammed, Sultan du Khwarezm, il envoie ses armées l’envahir.
Gengis détruit et conquiert tous les royaumes sur son passage, partout où se trouvent des steppes ou des plaines propices à déployer la suprématie des cavaliers, armés de leurs arc et de leurs sabres. Certes d’autres terrains les ralentissent, les forêts indiennes ou les montagnes afghanes, voire les murailles chinoises, mais la cavalerie reste l’arme reine de cette époque et sur leur terrain, les armées mongoles sont invincibles.
Affamé enfin de femmes.
Dans les partages de butins, dans le choix des femmes épousées et des esclaves, le Grand Khan se sert toujours le premier. Entre les filles de chefs ou de rois offertes en alliance et les prises de guerre, plus d’une vingtaine de tentes entourent celles de Gengis Khan, celles de ses femmes.
Même si la première d’entre elles, Börtè, conserve son autorité, intercède souvent et reste écoutée, l’Affamé qui l’a beaucoup aimé la laisse pourtant s’effacer de son cœur, pour une favorite plus jeune, et ses attentions particulières vont aux nouvelles prises.
C’est pour cela d’ailleurs que Bo’ortchou, le si loyal, devient amer même s’il reste fidèle, et que son frère de sang presque divinisé, finit par l’écarter, lui en voulant des ruptures qu’il lui impose. Gengis (un nom qui veut dire Océan), lui prend finalement toutes les femmes qu’il a aimé, soit à des fins politiques, soit pour satisfaire ses propres appétits.
Pour son compagnon le plus fidèle, son Anda c’est-à-dire son frère de sang, une fois Temudjin devenu Gengis Kjan, il n’est plus un pair ni un aîné mais un empereur, dont plus aucun mortel ne peut se sentir proche… jusqu’à leur mort. Bo’ortchou peut finalement, soulagé de n’avoir jamais trahi sa douloureuse loyauté.
Au total une splendide lecture, que je recommande sans hésiter, sous une plume qui sait attacher les lecteurs à des personnages dont n’est tue ni l’humanité ni la cruauté, dans un univers peu enclin à la pitié.
Homéric dévoile avec splendeur des vies qui ont fait trembler le monde au rythme de leurs galops.
Le Loup mongol, de Homéric (450 pages), est publié aux éditions Grasset. Sur le même sujet, dans la Revue Littéraire de Shanghai :










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