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Du Riz et des Brutes. Riz de Su Tong – Ed. Flammarion (Traduction Noël Dutrait)

  • Tang Loaec
  • 19 sept. 2024
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 janv.

Un être passe, frustre, issu du village des Erables où les récoltes de riz ont été ruinées et poussé hors de sa campagne vers la ville, par les inondations et la famine. Lorsqu’il sort du wagon de fret qui l’a porté jusqu’à la ville, il n’est rien qu’un corps affamé, une sorte de lichen à la recherche d’un terreau auquel s’accrocher, pour une poignée de riz, une chute de repas, un mètre de terre battue où dormir.


Une brute parmi les brutes. Mais il n’est pas sûr qu’il se trouve un être dans ce livre de Su Tong dont on ne puisse dire qu’il en soit une. Chaque homme, enfermé dans sa propre violence interne, est un loup pour l’autre. Les bienfaits, sans lendemains, ne sont jamais que le fruit d’un égoïsme et ne sont pas destinés à être récompensés. 


Su Tong est d’une autre génération. L’exode rural qu’il connaît est celui des ouvriers migrants que depuis 1980 les cantons ruraux chinois ont recommencé à jeter vers les villes. La justesse empreinte son récit cependant, parce que la différence des circonstances politiques ne change pas l’âme des hommes, et il n’y a peut-être pas tant de différences entre les migrations des années 30 et 40 et celle du jour. Sans doute, ce n’est plus la famine mais la pauvreté que les migrants fuient de nos jours, la différence reste appréciable. Volontaires, les migrations des années 90 et 2000 sont poussées par la volonté d’améliorer son sort, ou celui de sa famille restée au pays, ou celui de la génération suivante. 


Mais c’est toujours avec pour seule perspective, au terme du voyage, de trouver dans l’ascension sociale une récompense qui ne peut se mesurer qu’à l’aune du village dont on est issu. L’exil ne prend son sens que par le retour.


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Ce n’est pas une fresque politique, mais bien une fresque humaine que trace Su Tong, en s’attachant à suivre les pas de Wu Long, pieds nus et affamée lors de sa première migration, vers la ville. Au soir de sa vie, il n’a pourtant pour seul objectif que de préparer son périple inverse, mourant mais sur un tas de riz, mesure unique que sa pensée épaissie par les souffrances, peut donner à sa réussite.


Entre ces deux voyages, qui bornent le livre, c’est son ascension vers la cruauté et la corruption qui est décrite. Sans préméditation, Wulong gravit marche après marche l’échelle sordide de la richesse et du racket. Le personnage marqué par sa placidité, sa haine est rentrée, enténébrée, et sa violence presque passive. Le traitement du sujet met en lumière la capacité du migrant à subir et à encaisser, beaucoup plus que ses excès criminels. Il semble que malgré son ascension ce soit le destin des paysans chinois, souffrir, dans lequel il s’inscrive, et que sa progression dans l’échelle sociale ne se fasse qu’au travers des mutilations qu’il reçoit. Tout mal qui lui est fait le renforce, au point qu’il devienne inexpugnable, illégitime mais réel propriétaire de la maisonnée du marchand de riz qui l’a d’abord pris pour commis, pas même rémunéré.


Les coups qu’il porte ne sont qu’un rendu de ceux qu’il reçoit plus tôt. Il devient maître là où on l’a fait esclave, il devient chef de bande contre ceux même qui l'ont humilié, et il faut qu’il ait tout pour que cette équation se retourne contre lui, le détachant progressivement de tout, minant son corps sous les maladies vénériennes, minant son pouvoir, minant sa vie lorsque finalement, il sera soumis aux pires tortures, sans que son dernier filet de vie pour autant ne s’échappe. 


S’il est mourrant, c’est presque parce que c’était une nécessité de le délivrer de sa vie pour qu’il puisse entreprendre le voyage retour, revenir comme dans un rêve, allongé dans un wagon entier remplis de riz blanc, vers la terre qu’il a fuit.


Le style de Su Tong sert admirablement cette histoire âpre comme peut l’être la Chine, amère aux uns quand elle sourit aux autres, dure à tous au fil de ces pages.


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La Revue littéraire de Shanghai et d'Orient : ISSN 3074-9832   

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