LUST, CAUTION - Amour, Luxure et Trahison – de Eileen Chang
- Tang Loaec
- 26 déc. 2024
- 3 min de lecture
Avant le film aux scènes érotiques de Ang Lee, (Lust, Caution ou 色、戒, en pinyin Sè, Jiè) célébré par un Lion d’Or à la Mostra 2007 de Venise, il existe un univers littéraire, celui de celle qui fut l’une des plus jeunes et doués nouvellistes du Shanghai des années 40, période où la ville incarnait si parfaitement le titre de la nouvelle qui inspira le film, « Amour, Luxure et Trahison ».
Le recueil publié par Laffont est fait de ces nouvelles dont le style et l’inspiration firent le succès d’Eileen Chang en Chine, avant son émigration américaine. Elle reste toujours aujourd’hui l’un des auteurs les plus appréciés à Shanghai.
Dans un environnement troublé par la montée de la guerre, les années 30-40 furent à Shanghai celles de toutes les audaces pour une génération montante de jeunes filles gâtées par le sort et l’éducation laissée en héritage à leur classe moyenne privilégié. Ces enfants de bonne famille, quoique bien différentes des filles fleurs des maisons de luxures, n’en étaient pas moins réinventées par le creuset de cette ville, dynamique et décadente, au point de faire exploser le carcan des mœurs traditionnelles chinoises.
Il n’est pas jusqu’à ma propre mère (celle du critique qui fait ici l’éloge de Eileen Chang), fille d’une famille très privilégiée avant la révolution communiste, qui n’ait à sa façon fait la démonstration de la révolution de moeurs de cette Chine véritablement nouvelle, d’avant la reprise du label Chine Nouvelle par Xinhua, l’agence de presse officielle du gouvernement de la République Populaire de Chine.
Le recueil compte quatre nouvelles et toutes parlent de ce mouvement tellurique, si difficile à maîtriser par les pères, qui d’une génération à l'autre a transformé de jeunes enfants dociles en autant de volcans potentiels, dont certains firent éruption.

Ce recueil n’est pas érotique, la culture littéraire chinoise restait au milieu du XXème siècle beaucoup trop allusive pour cela. Il ne parle pourtant que de la montée du désir rendant brutalement obsolètes toutes les valeurs de la génération précédente.
De la rencontre fantasmée chez la plus sage, on bascule dans la révolte familiale des trois filles à marier dans la nouvelle suivante, chacune à sa façon réduisant à néant les espoirs matrimoniaux de leur père, que cet homme pourtant enclin à l’indulgence prétende s’en mêler ou pas.
La nouvelle suivante sème plus loin encore la graine du chaos familial, avec la passion pour son père, non consommée mais destructrice, d’une jeune fille devenue femme et qui de la perversité de l’enfant à celle d’une jeune femme plus tout-a-fait innocente, détruit le couple de ses parents.
Ce n’est qu'à la dernière nouvelle que l’on plonge de l’histoire des mœurs dans l’histoire, celle de la Chine de l’occupation japonaise, décrite au travers l’attentat projeté contre le chef de la police secrète du gouvernement collaborateur. La « Stratégie de la Beauté » est retenue par le groupuscule étudiant auquel s’associe une jeune femme, placée au premier front pour séduire la cible et l’attirer dans le piège. Là encore, pourtant, le modèle du sacrifice patriotique de l’héroïne, récurrent dans les légendes chinoises, est remis en cause par cette génération incontrôlée de jeunes femmes, habitées moins par l’amour que par la nécessité d’inventer la passion, d’en faire l’expérience quel qu’en soit le prix et au détriment de tout ce qui en Chine avait auparavant servit à la nier.
L'auteur : Eileen Chang
Issue elle-même de la bourgeoise de Shanghai et s'inspirant largement des personnalités qu'elle y côtoyait, Eileen Chang (1920-1995) a été reconnue dès 1943 comme un auteur majeur de la littérature chinoise contemporaine par la critique de son pays.











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