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Jeune Babylone, de Lu Nei

  • Fabienne Trunyo
  • il y a 2 jours
  • 3 min de lecture

Un parfum de style Mo Yan (Prix Nobel de Littérature 2022) flotte sur cette histoire de Bad Boy chinois des années 90.


Lu Xiaolu, à la demande de sa petite amie, raconte sa jeunesse. Ce faisant, il nous emmène en promenade, une Longue Marche de dix années passées à travailler dans une usine fabriquant de la saccharine. Cela pourrait à priori paraître rébarbatif, mais loin de là. On n'imagine pas le nombre d'aventures rocambolesques dont ce site industriel délabré est le siège !


Jeune Babylone. Lu Nei. Actes Sud
Jeune Babylone. Lu Nei. Actes Sud

Années 90 en Chine, des années de grande transition. Les entreprises d'Etat font petit à petit place à des entreprises privées, mais perdre son “bol en fer” s'avère quelquefois difficile. L’expression “bol en fer” désignait dans la Chine communiste la sécurité à vie résultant, pour les employés communistes, de l’emploi à vie, la prise en charge par l’entreprise de tous les besoins, nourriture, logement, soins médicaux, de la naissance jusqu’à la fin de vie. Le “bol de fer” signifie celui qui “ne peut jamais se briser (en Chine on mange le plus souvent dans des bols plutôt que dans des assiettes)”.


Les employés, cadres ou ouvriers cherchent un nouveau sens à leur vie, tentent de s'extraire de cette usine où règne une pollution intense tout en tenant à leurs camarades, à leurs petites habitudes.


Xiaolu, entré à 20 ans comme ajusteur, visse et dévisse des boulons toute la journée, il sera promu électricien et changera des ampoules toute la journée. Mais Xiaolu est bagarreur, c'est le voyou de l'usine, il sera condamné à finir sa carrière au rythme des trois-huit. Les « trois-huit » la punition suprême, deviendra en 1994, le lieu où seront déportés nombre d'employés, cadres pour l'exemple, comme ouvriers, afin de répondre aux quotas. L'usine de saccharine de Daicheng est en effet une entreprise d'Etat qui tient la route grâce à un management qui a su se moderniser, privilégiant le matériel (nouvel atelier) au détriment de l'humain.


Mais Xiaolu est poussé par sa camarade Bai Lan, la médecin de l'usine, devenue sa petite amie, à reprendre ses études, en cours du soir. Charmée par son fort caractère, son esprit libre (il est poète à ses heures), elle n'a de cesse de le motiver à découvrir le monde hors des murs de l'usine, ce qu'elle fera elle-même pour reprendre ses études de médecine.


Voilà la trame d'une histoire somme toute banale, mais c'est avec un beau talent que Lu Nei met en scène tout ce petit monde. Il fait une large place au comique de situation et de nombreuses scènes provoquent le rire chez le lecteur ! On passe du sarcasme, au rocambolesque, à l'extravagance ! Même l'unique scène érotique du roman est une anthologie de loufoqueries ! Xiaolu et  Bailan font l'amour en plein tremblement de terre et évoquent ce qu'il adviendrait d'eux, dans telle ou telle position, si le plafond s'effondrait.


L'extravagance de ce roman se loge aussi dans les surnoms que se donnent les ouvriers. Il y a d'abord Moue Boudeuse qui accueille Xiaolu lors de son entrée à l'usine, puis défilent, le Vieux-qui-déchire, Couilles de Traviole, Guiboles, Tête de Poulet, Couilles de Sagesse, Xu le Trou de balle, Fang l'Aveugle, Liang le Chauve.

Le récit de Lu Nei est écrit dans une langue argotique, quelques fois grossière, à l'image de ce Bad Boy de province. Mais la tendresse y trouve heureusement sa place pour arrondir les angles d'une vie d'ouvrier éprouvante !


L'intérêt de ce roman réside également dans la critique du système d'entreprise d'Etat, critique qui n'est pas frontale, mais emprunte les tours et détours de la dérision afin de passer le cap de la censure. Seule une phrase du texte n'a pas été acceptée parce qu'elle faisait référence à un pseudo-poème inspiré d'un célèbre poème de Mao La Prise de Nankin par l'Armée populaire de libération (1949). Ce passage a été considéré comme irrévérencieux à l'égard de Mao et a été modifié dans les éditions ultérieures du roman.


L'auteur :


Lu Nei, de son vrai nom Shang Junwei, est né à Suzhou en 1973. Il est considéré en Chine comme l'un des meilleurs écrivains de la génération née dans les années  1970. Comme le héros de Jeune Babylonne, à peine sorti de son lycée technique, il a travaillé comme ouvrier et a exercé à la suite nombre de métiers. Il commence à écrire en 2007 et appartient aujourd'hui de l'Association des écrivains de Shanghai.  Il écrit aussi pour le cinéma et Jeune Babylone est un bel exemple d'écriture cinématographique. Le roman a d'ailleurs été porté à l'écran en 2017.


Jeune Babylone, de Lu Nei, est publié par Actes Sud en 2024, 416 pages


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La Revue littéraire de Shanghai et d'Orient : ISSN 3074-9832   

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