Hong Kong Noir de Chan Ho-kei
- Serge Perrin Merinos
- 27 août
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 août
«Hong Kong noir» de Chan Ho-kei est un roman policier magistral et novateur qui transcende les conventions typiques du genre. Raconté dans une structure chronologique inversée captivante à travers six nouvelles interconnectées, le livre emmène les lecteurs dans un voyage de cinquante ans à travers l'histoire tumultueuse de Hong Kong, de 2013 à 1967.
Chaque nouvelle se concentre sur une affaire distincte et complexe enquêtée par le légendaire inspecteur Kwan Chun-dok, surnommé « l'Œil du Ciel » pour ses compétences d'observation et de déduction inégalées, et sa relation évolutive avec son protégé plus conventionnel, Sonny Lok.

Au-delà des mystères captivants, le roman sert de riche « récit social » de Hong Kong, tissant de manière transparente des événements historiques cruciaux, des changements sociaux et des courants politiques sous-jacents, offrant une exploration profonde de la justice, de la moralité, de la corruption et de l'esprit durable de la ville et de ses habitants. La narration habile de Chan Ho-kei, qui rappelle les maîtres classiques du crime comme Agatha Christie et Arthur Conan Doyle avec une touche moderne, fait de «Hong Kong noir» une expérience de lecture véritablement exceptionnelle et stimulante.
«Hong Kong noir» présente de manière complexe Hong Kong non seulement comme un décor, mais aussi comme un personnage dynamique en constante transformation. À travers la structure chronologique inversée, le lecteur expérimente l'évolution de la ville à rebours, offrant une perspective unique sur la manière dont les événements passés continuent de façonner le présent.
Thèmes explorés et présentation de Hong Kong
L'histoire comme une force indéniable : Le roman dépeint vivement l'histoire de Hong Kong comme une influence omniprésente. Chaque nouvelle est profondément ancrée dans un moment historique spécifique: les émeutes gauchistes de 1967, la montée de l'ICAC (Commission Indépendante Contre la Corruption) dans les années 1970, le massacre de la place Tiananmen en 1989, la rétrocession de 1997, l'épidémie de SRAS en 2003, et le mouvement Occupy Central (aussi connu sous le nom de Mouvement des parapluies) en 2013.
Ces événements ne sont pas de simples toiles de fond, mais façonnent activement les crimes, les motivations des personnages et le tissu social de la ville. En remontant le temps, l'auteur révèle subtilement comment ces tournants historiques ont laissé des marques indélébiles sur l'identité de Hong Kong, ses institutions et la psyché collective de son peuple. Le récit implique que les problèmes et les angoisses actuels sont profondément enracinés dans ce passé complexe.
Les sables mouvants de l'identité : La position unique de Hong Kong en tant qu'ancienne colonie britannique en transition vers la domination chinoise est un thème central.
Le roman explore la crise d'identité qui en résulte et la négociation constante entre différentes influences culturelles et politiques. Les personnages sont aux prises avec leur sentiment d'appartenance et les dynamiques de pouvoir changeantes, que ce soit sous la domination britannique ou l'ombre menaçante de Pékin. Le sentiment de «lieu emprunté sur un temps emprunté», souvent associé à Hong Kong, imprègne subtilement le récit, en particulier dans les histoires de 1997 et antérieures ( Le sentiment de «lieu emprunté sur un temps emprunté» à Hong Kong évoque son histoire de colonie avec une date limite, et l'incertitude de son autonomie après la rétrocession à la Chine. Il reflète une identité unique et un sentiment de transience politique et culturelle).
La loi, l'ordre et la corruption : La représentation de la force de police de Hong Kong et de la lutte contre la corruption est un prisme crucial à travers lequel la ville est dépeinte.
L'évolution de l'application de la loi, de la corruption endémique des années 1970 aux défis plus complexes des décennies suivantes, reflète le paysage socio-politique changeant. Le personnage de Kwan Chun-dok, bien qu'il soit un phare de justice, opère au sein de ce système en évolution, enfreignant parfois les règles pour atteindre ses fins, soulevant des questions sur la nature de la justice à différentes époques de l'histoire de Hong Kong.
Stratification sociale et bas-fonds : Le roman expose les diverses strates sociales de Hong Kong, de l'élite fortunée à la classe ouvrière et au monde criminel. À travers les différentes affaires, les lecteurs rencontrent différentes facettes de la société hongkongaise (les marchés animés, les demeures opulentes, les ruelles sombres), peignant un tableau multifacette des disparités sociales et économiques de la ville. La présence des triades et de leurs liens complexes avec les structures de pouvoir de la ville révèle davantage un côté plus sombre de la vie à Hong Kong.
Nostalgie et l'inévitable passage du temps : La chronologie inversée évoque intrinsèquement un sentiment de nostalgie pour le passé. À mesure que le récit recule, les lecteurs sont témoins de versions antérieures, peut-être plus « stables » ou du moins différentes, de Hong Kong. Ce voyage à rebours met en évidence la marche inexorable du temps et les profonds changements que la ville a subis, tant physiquement que dans son esprit. Les personnages sont souvent aux prises avec des souvenirs du passé, reflétant un sentiment collectif d'une ville constamment en mutation.
La ville comme personnage : L'écriture de Chan Ho-kei donne vie à Hong Kong de manière saisissante. Ses descriptions de lieux spécifiques, des néons vibrants de Mong Kok aux monuments historiques, ancrent les histoires dans une réalité tangible. La ville elle-même ressemble à un personnage, son atmosphère et son énergie uniques influençant les événements et la vie de ses habitants. L'auteur capture la nature rapide, pragmatique et souvent impersonnelle de la vie à Hong Kong, ainsi que son ironie et sa résilience sous-jacentes.
Voici un bref résumé de chacune des six histoires :
La vérité entre le noir et le blanc (2013) : Dans un Hong Kong ressemblant de plus en plus à un État policier, et durant le mouvement Occupy, un commissaire Kwan Chun-dok en phase terminale et dans le coma guide son ancien protégé, Sonny Lok, dans la résolution du meurtre apparemment impossible dans une chambre close d'un puissant milliardaire. Depuis son lit d'hôpital, Kwan orchestre l'enquête impliquant les suspects amenés auprès de lui, révélant une corruption profondément enracinée dans le paysage politique changeant de la ville.
L’honneur du prisonnier (2003) : Pendant l'épidémie de SRAS, Kwan, tout en convaincant Lok de se préparer à prendre sa relève, enquête sur le meurtre d'une jeune artiste de premier plan. Leur investigation met au jour un réseau complexe de griefs historiques et de rivalités entre gangs, sur fond d'un avenir incertain pour la ville.
Le jour le plus long (1997) : À la veille de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, Kwan sur le point de prendre sa retraite est contraint de reprendre du service pour enquêter sur l'évasion d'un prisonnier qu'il avait contribué à capturer de nombreuses années auparavant, soulignant les angoisses entourant l'importante transition politique.
La balance de Thémis (1989) : À l'époque du massacre de la place Tiananmen, un jeune Sonny Lok participe à sa première enquête majeure, une opération policière bâclée contre un gang, à travers laquelle il est témoin des rouages internes complexes et parfois manipulateurs, ainsi que des compromis moraux au sein de la force de police.
Terre d’emprunt (1977) : Kwan Chun-dok, récemment revenu de formation en Grande-Bretagne et l'un des rares officiers honnêtes dans une force de police de Hong Kong profondément corrompue, enquête sur le conflit entre la police de Hong Kong et la nouvelle Commission Indépendante Contre la Corruption (ICAC) à travers une affaire d'enlèvement apparemment simple.
En sursis (1967) : Au milieu des violentes émeutes gauchistes, un jeune Kwan Chun-dok de 19 ans, sans emploi, se retrouve tiraillé entre la participation aux manifestations et l'aide à la police pour déjouer un complot terroriste. Cette première affaire façonne sa compréhension fondamentale de la justice et des frontières ambiguës entre le bien et le mal dans le Hong Kong colonial.
Essentiellement, «Hong Kong noir» utilise le cadre d'histoires policières captivantes pour offrir un portrait profond et nuancé de Hong Kong sur un demi-siècle. En explorant les complexités de crimes individuels dans leurs contextes historiques spécifiques, Chan Ho-kei crée une représentation puissante et multifacette d'une ville aux prises avec son identité, son passé et son avenir incertain.
Hongkong Noir, de Chan Ho-kei, traduit en Français par Alexis Brossolet, a été publié d’abord en cantonais en Juin 2014, puis en français par Edition Kindle, Folio en Juin 2018, 768 pages.
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